Comment protéger les jeunes de la radicalisation?
Intervention de la Convergence services publics à la conférence
organisée le 11 octobre 2016 par la Ligue des Droits de l'Homme
Centre de vie du Sanitas à Tours le 11 octobre 2016
Merci à la LDH avec laquelle la Convergence de défense et développement des services publics a noué des liens particuliers pour avoir organiser cette soirée. Merci à mesdames Nadia Remadna et Véronique Roy pour vos témoignages. Ils soulignent le rôle premier des femmes dans lutte contre l'obscurantisme.
Je suis responsable d'une association qui s'occupe de services publics dont le rôle dans notre pays est d'être ou devrait d'être au service des grands principes républicains de liberté, d'égalité, de fraternité.
Une partie de la jeunesse se vit comme exclue de la société, quand elle ne la rejette pas. Certes, de tout temps, la jeunesse a contesté l'ordre social qu'on lui propose et dont elle hérite. Mais aujourd'hui, nous sommes dans une situation anormale qui conduit à des actes extrêmes.
Dans les Cités, des milliers de jeunes sont impliqués dans le phénomène de cette idéologie mortifère portée par Daech qui a peu à voir avec la religion elle-même. En mai 2016, 134 jeunes sont officiellement morts en Syrie, aujourd'hui on a appris que le cap des 200 était atteint.
Comment en est-on arrivé là ? Faut-il se taire ou laisser faire ? On voit par ailleurs tout un discours
hystérique se développer qui ont surtout pour vocation, pour reprendre l'expression de la militante féministe Bouchera Azzouz, « de masquer notre grande déroute sur le front économique et social » et comment faire ?
Les causes : on vit aujourd'hui sur le terreau des idéologies de l'argent engagées depuis plus de 30 ans, du chacun pour soi, du mythe de la réussite individuelle , dont le marqueur serait le fait d'avoir à 50 ans un rollex, de devenir un gagneur dont la réussite serait bâti sur l’écrasement et la misère du plus grand nombre. Si cela va mal pour vous, c'est que vous être personnellement responsable. Mais franchement, est-ce normal cette société qui fabrique toujours plus de ghettos ? Des quartiers ou pour beaucoup, ce qui est vécu c'est l'absence de perspective, le sentiment d'être dès le départ hors course.
Franchement lorsqu'on parle de radicalisation, n'est ce pas aussi contre une société qui est elle même bâtie sur une idéologie radicalisée? Il n'y aurait pas d'alternative à la situation actuelle, nous répète t-on sans arrêt. Et les discours sur le plan Marshall des banlieues ou de l'autre côté leur passage au Karcher, qui y croit encore ?
Les services publics devrait jouer un rôle de redistribution, en fait une poignée de gens concentrent la fortune et détient l'essentiel des leviers du pouvoirs.
Dans bien des cas, les services publics ont été détruits ou ont fui les quartiers. La police n'est plus perçue comme un outil au service de la sécurité de tous mais comme un outil d'oppression et de répression. La police n'intervient plus la nuit dans certains quartiers.
L'école gratuite, laïque, obligatoire de Jules Ferry, quelle est-elle devenue aujourd'hui ? Plus de 100 000 jeunes sortent chaque année sans aucun diplôme. Dans le quartier de la Rabaterie, à Saint-Pierre-des-Corps, on ne retrouve pas quasiment aucun jeunes au CFA ou le lycée professionnel Martin Nadaud pourtant très proches.
Un rapport récent du Conseil national d’évaluation du système scolaire analyse que l'école hérite des inégalités, mais elle les développent également en son sein. Le temps hors-scolaire est lui aussi facteur de creusement des inégalités. Une étude montre que ce sont les couches aisées qui recourent le plus aux aides au devoir.
Je pense au terrible témoignage du rappeur Abd Al Malik qui a vécu dans une cité de Strasbourg dont le surnom est Sarajevo. D'une famille modeste monoparentale, il explique qu'à la fin de la CM2, l'institutrice de l'école publique a incité sa mère à le placer dans une école privée du centre ville pour le sortir de ce qui était assimilable à un ghetto. Abd Al Malik dit que c'est l'éducation qui lui a permis de s'en sortir.
Pour le syndicat SNES -FSU, le phénomène n’est pas nouveau, mais il se renforce : les enfants de milieu populaire et en particulier ceux issus de l’immigration subissent une discrimination tout au long de leur scolarité (en matière de résultats scolaires, d’orientation, de niveau de diplôme, de rendement de ce diplôme).
Nos quartiers , la jeunesse ont besoin de services publics
Le discours radical de Daech propose un projet global totalitaire qui doit s'imposer à toute la société en détruisant toutes les autres systèmes de pensées et de croyance.
Mais comment va-t-on régler la question de Daech? En mettant en prison les fichiers S, en bombardant les villes du Moyen-Orient ?
Cette stratégie n'a pas d'avenir, la guerre ? Il suffit de regarder l’Afghanistan, l'Irak ou la Libye pour voir que les guerres nourrissent les guerres et se transforment en bourbier.
Les prisons ? Mais celles-ci n'ont jamais été aussi pleines, que peut-on attendre dans ces conditions de l’enfermement dans des prisons surpeuplées?
Nous sommes donc pour de politiques publiques de paix, de développement partagé avec ce qu'on appelle les pays du Sud.
Concernant le centre appelé au départ de «déradicalisation» de Pontourny, nous avons pris position avec la LDH pour contester la notion de déradicalisation. Pour reprendre une expression du psychiatre Philippe-Jean Parquet: «on ne peut pas enlever une croyance comme une tumeur ». Nous avons pris position pour un centre d'insertion et de réinsertion sociale et professionnelle. Nous ne voulons pas d'un centre où les jeunes adultes seraient traités comme des bêtes fauves. Il faut au contraire qu'ils retrouvent leur place dans la société des humains. C'est une part de responsabilité qui incombe aux communes comme à la société toute entière.
Les déclarations politiciennes de départ du Premier ministre n'ont pas aidé en ce sens et surtout fait le lit des idées extrémistes du Front national. Je regrette qu'on n'ait pas vu grand monde dans le secteur pour les dénoncer.
Il faut construire des solutions alternatives.
La condition est que les services publics deviennent, redeviennent des biens commun au service de tous. Cela suppose que les habitants intègrent l'idée que ces services publics, ce sont leurs services
publics. Ils leurs appartiennent. Cela peut faire débat avec les personnels des services publics mais tout le monde a à y gagner.
L'école a un rôle fondamental pour créer du vivre ensemble et de la solidarité. L'école doit être le lieu ou on apprend à avoir un esprit critique permettant de construire son propre cheminement de pensée.
Les préconisations du Conseil national d’évaluation du système scolaire rejoignent celles de nombreux autres rapports, ainsi que des demandes du SNES-FSU. On notera en particulier "rompre avec la logique des réformes à répétition", développer une approche en termes de prévention", "miser sur l’expertise pédagogique des personnels enseignants et d’encadrement", "réduire la ségrégation scolaire et sociale …".
Mais ce sont aussi les éducateurs des quartiers. Les adolescents et les jeunes adultes sont à la recherche d'une voie pour s’épanouir, avoir leur place dans la société. Il faut aider, les accompagner.
Ces structures doivent aider à déconstruire les schémas simplistes qui conduisent par exemple des filles à aller en Syrie pour défendre des idées et se retrouvant à choisir entre la kalachnikov et la ceinture d'explosif quand ce n'est pas l'enfermement et un mariage forcé.
La situation d'une société avec 6 millions de chômeurs n'est plus tenable sauf à aller vers des clivages accrus dans la société avec d'un côté ceux qui arrivent, même si c'est de plus en plus mal, et ceux qui n'y arrivent pas. Les services formation, de pôle emploi doivent être autre chose que des
structures de plus en plus impersonnelles avec pour objectif de faire baisser le chiffres du chômage
mais avec le recours souvent à des solutions artificielles en rayant des demandeurs d'emplois des listes..
La police, chacun a en tête les terribles événements de Viry-Châtillon. Voilà où on en est arrivé. Comment on sort de cette situation, la police doit devenir une police citoyenne dans les valeurs républicaines.
L'intervention des habitants est la clé de la solution : en appuyant le réseau des associations présentes dans les quartiers et l'intervention citoyenne. Nous pouvons aider à porter les exigences en ce sens . Cela passe aussi par des politiques publiques ambitieuses, dans lesquelles le plus grand nombre puisse se reconnaître pour l'éducation, l'emploi, le logement pour favoriser la mixité, le vivre ensemble, en finir avec les quartiers-ghettos.
La liberté , l'égalité, la fraternité, ce sont 3 mots que nous devons avoir au cœur et porter comme un étendard .